De mémoire, aucun film n’aura suscité autant de haine et d’incompréhension au Maroc. Des extraits de Much loved, le dernier film du cinéaste marocain Nabil Ayouch, présenté à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes et traitant de la prostitution, ont « fuité » sur les réseaux sociaux entrainant de vives réactions au Royaume Chérifien.
Un film qui dérange
Manifestations, pétition en ligne, menace d’action judiciaire à l’encontre du réalisateur, tous les moyens sont mis en œuvre pour museler le cinéaste et censurer son œuvre.
Résultat : avant même que le cinéaste ne demande un visa d’exploitation, le gouvernement « conservateur » marocain a annoncé lundi soir que le film serait interdit de projection au Maroc pour « outrage grave aux valeurs morales et à la femme marocaine ».
Rappelons les faits : des internautes ont récupéré les extraits du film mis sur le site internet du festival et les ont publiés sur les réseaux sociaux. Des extraits qui montrent des prostituées engagées dans des discussions frivoles à la rhétorique forte et au réalisme cru. Une image qui ne passe pas dans un pays se présentant comme musulman.
{adinserter CNP5}
Liberté d’expression ou retour au moyen-âge?
Soyons raisonnables, ce genre d’actions n’est pas commis qu’en Afrique ou dans certains pays musulmans. Certaines attaques contre l’expression artistique peuvent être comprises comme une forme de liberté d’expression tout aussi légitime. En France, les manifestations et pétitions signées contre l’exposition d’Haruki Murakami au Château de Versailles, à l’encontre de l’artiste McCarthy pour son installation en forme de “plug anal” place Vendôme, ou plus récemment encore contre le nouveau film de Richard Berry « Nos Femmes » en sont de francs témoins.
La censure n’est pas un phénomène tiers-mondiste. Chaque année, des centaines de films sont censurés dans le monde et parfois par certains gouvernements qui se positionnent comme avant-gardistes et défendeurs de la liberté d’expression comme la Norvège : rappelez-vous l’interdiction du film L’empire des Sens de Takeshi Miike. Certes, comparer l’Empire des Sens à un film bien moins pasolinien, dans ce sens qu’il ne présente pas de scènes morbides ou violentes, à un film soft comme Much Loved, est quelque peu exagéré. Mais nous voulons noter ici que la liberté d’expression est une dynamique perverse à deux vitesses. Il y aura toujours « deux poids deux mesures » dans la censure.
La censure nous désole toujours, et malheureusement chaque gouvernement, quel qu’il soit, défendra un agenda particulier et une idéologie qui sert son programme politique.
Malheureusement, les réactions ne se sont pas arrêtées à la « simple » protestation, mais ont rapidement dégénéré pour se transformer en menaces de mort à l’encontre de son actrice principale Loubna Abidar et en insultes à caractère antisémites contre le cinéaste marocain d’origine juive — il est bon de rappeler que Nabil Ayouch, de mère juive, ne se revendique pas juif mais de double culture. Retour au Moyen-âge donc pour une grande partie de la population marocaine qui préfère user d’attaques ad hominem plutôt que de critiquer l’œuvre elle-même avec des arguments constructifs.
La prostitution, un secret de polichinelle
Le film traite de la prostitution. Un classique du cinéma marocain. Sauf que le réalisateur, connu pour ses films réalistes et ses dialogues francs —sans langue de bois et sans tabous, a peint là une œuvre sensiblement réaliste. Un exercice qui enchantera les amateurs du cinéma social et engagé, à l’image des Frères Dardenne et de Ken Loach, et irritera les âmes sensibles à la lumière de la vérité.
Comme toutes les destinations touristiques de masse, Marrakech semble être gangrénée par la prostitution. Un phénomène endémique que la doxa se refuse à concevoir.
La société marocaine est particulièrement douée pour nier les phénomènes qui la dérangent. Alors que le Royaume Chérifien semble progresser économiquement et socialement —notamment avec la dernière loi qui encadre l’avortement, quelques biens pensants continuent d’affirmer que la prostitution reste marginale. Pis encore, des intellectuels de gauche fustigent et dénoncent le film sous prétexte qu’il « salit l’image de la femme marocaine ».
Entendons-nous bien, est-ce que les centaines de films américains qui traitent de la prostitution… non, soyons plus fou encore : est-ce que tous ces films pornographiques américains salissent l’image de la femme américaine ? Réponse: non.
Nous ne mélangeons pas les choses. Ces femmes doivent être entendues, et ce phénomène reconnu si l’on souhaite à terme pouvoir remédier à ses causes. La bigoterie est l’ennemi de la sagesse et de la compassion, et l’on a trop aisément tendance à jeter la pierre pour s’absoudre, aux yeux de la société, de ses propres turpitudes.
Riez de l’œuvre, ça vous fera du bien !
Le film a au moins eu le mérite, selon les médias marocains, de faire fuir les touristes saoudiens en quête de relations tarifées. Bientôt, on l’accusera de faire reculer les recettes du tourisme pour l’année 2015 !
Il y a bien des façons d’encadrer une œuvre réaliste. L’interdire au moins de 18 ans ou de restreindre la distribution à certaines salles spécifiques. Ce qui choque le plus dans les bandes-annonces, ce n’est pas tant la vulgarité des propos, mais plutôt l’inventivité du discours. Le Darija — le dialecte marocain — utilisé dans le film est particulièrement inventif et pourrait révolutionner l’expression urbaine. Rappelons-nous les « Bananes » dans le film Ali Zaoua, film culte du réalisateur qui dénonce la marginalisation des enfants de la rue.
Le spectateur marocain semble oublier le positionnement du réalisateur : la satire.
Le Maroc regorge de talents artistiques. Des œuvres, comme celle de Nabil Ayouch, et d’autres comme Nabyl Lahlou, doivent égayer le citoyen. Le marocain est connu pour son humour, mais il a honte parfois d’exhiber son avis devant les autres.
La bande-annonce fait sourire par le génie simplet de son discours. On a le droit de ne pas aimer, mais rappelez-vous, chers lecteurs, que ceci est une œuvre artistique, satirique qu’il faut prendre avec légèreté et bon sens.
Regardez la bande-annonce du film ci-dessous :
À SUIVRE: Ces acteurs et actrices qui rayonnent jusqu’à Hollywood. Vous en reconnaîtrez au moins un.