29/03/2024

La  science-fiction telle que vous la connaissez se déroule presque toujours dans des villes où règne une technologie de pointe. Des villes immenses qui ne sont, le plus souvent, rien d’autre que le duplicata futuriste de villes comme Tokyo, New York, et Séoul, des capitales déjà à la pointe de la technologie, se prêtant aisément aux imaginaires futuristes comme ceux que l’on rencontre dans Akira, Blade Runner, Ghost in the Shell, ou encore dans les représentations utopistes d’Enki Bilal. Mais si l’espace urbain, la technologie et la modernité sont souvent parties intégrantes des œuvres de science-fiction, il ne faut pas oublier qu’elles servent également de plates-formes de réflexions philosophiques et ethnologiques, qui donnent libre cours à notre imagination. Pourtant, si de nombreux auteurs vous proposent de voyager au-delà des confins de la Terre, et même de l’Univers, rares sont ceux qui vous invitent à visiter l’Afrique fictive de demain.

Afrique et science-fiction

Afrique et science-fiction sont deux termes qui ne se rencontrent presque jamais, tels le jour et la nuit ou le progrès et l’arriérisme. Mais cela n’a rien de surprenant, surtout lorsque l’on constate que pour nombre d’intellectuels, l’Afrique ne vit pas encore au “présent”. Dans les œuvres de science-fiction, un passage en Afrique (Cowboy Bebop), où dans son équivalent imaginaire (Tatouine) est un événement rare qui revient tout simplement à voyager dans le passé, notre passé, pré-XVIIIème siècle. L’Afrique et ses images n’y sont guère qu’un outil de contraste et d’exotisme.

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Mais penser ainsi ne revient-il pas à s’enfermer à nouveau dans le conformisme de la pensée prémâchée, le tout en se targuant d’une œuvre avant-gardiste ? Car que reste-t-il de l’avant-garde si elle-même ne parvient plus à s’émanciper des lieux communs pour nous présenter une proposition radicale, défiant les lois du temps, et de la doxa et du « raisonnable », bref à réinventer les codes nos systèmes de pensée ?

L’évolution n’a jamais été que technique. Elle est ethnologique, elle est philosophique, et spirituelle. Il existe bien assez de visions futuristes de ces mondes hypers connectés, ultras urbanistes et sophistiqués à l’image de ceux de Blame ou Metropolis : place à un genre nouveau, la science-fiction ethnologique et spirituelle.

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Et si les auteurs africains réinventaient la science-fiction ?

Les nouveaux auteurs de science-fiction africaine ne doivent-ils pas réinventer le genre ? Quoi de plus beau qu’une terre aussi riche en culture, en fantaisie et en histoire que l’Afrique pour cultiver l’imaginaire et dresser les nouveaux piliers du fantasme ? Des mythologies aussi complexes que celle du Kubandwa dans le Rwanda traditionnel, de l’Empire du Kitara ou des premiers amazighs peuvent donner naissance à une nébuleuse d’images et de créations de l’esprit.

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Des images que vous pourrez rencontrer dans l’ouvrage de Mike Resnick, Kyrinyaga. Une histoire qui se déroule dans un petit planétoïde du même nom — Kyrinyaga est le nom donné au Mont Kenya par la tribu des Kikuyus. Dans cette épopée, Koriba, le sorcier, tente de faire revivre le mode de vie kényan en résolvant, par le biais d’illustrations, de mythes et légendes de son peuple, les problèmes rencontrés par la communauté. Utopie ethnologique habilement pensée mêlant coutumes ancestrales et avancées techniques.

Science-fiction et censure

Les auteurs africains comprennent aujourd’hui l’importance et l’intérêt de la science-fiction. Dans un environnement meurtri par la censure, l’une des rares voies d’expression réside dans la fiction. Les auteurs redoublent d’ingéniosité pour retranscrire, entre deux épopées intergalactiques, entre deux guerres métapsychiques, l’expérience humaine d’une société mise à nu, endiablée par la faim et assoiffée par les guerres et la corruption.

Le langage métaphorique résonnera dans l’oreille des libres-penseurs et des vrais anarchistes. La censure, dont l’intelligence est dix mille lieux en deçà, ne le comprendra pas.

Chers écrivains, osez la science-fiction. Vous avez là une chance incroyable en Afrique car aucun manifeste, aucun code, aucune loi ne régit la culture, l’art et la pensée. La censure est certes là, mais celle-ci n’est-elle pas le carburant de la création ? En l’absence de tout code, de toute subvention, le créateur est libre tel un dieu qui se « contracte » dans le but de permettre l’existence d’une réalité extérieure : un Tsimtsoum créatif.

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Les nouveaux Tarkovski sont sûrement en Afrique du Sud, au Maroc ou au Nigeria. Pas besoin d’un décor, pas besoin de subventions, ni même d’effets spéciaux. Si décor il y a, ce sera celui de l’imaginaire et de la contemplation.

Cette terre a tout essuyé : famine, guerre, génocide, migration, développement rapide, piraterie, pillages…tous les éléments que l’on rencontre dans une dystopie fantastique. Et à l’inverse, l’Afrique est le berceau de la civilisation, terre de culte, d’amour, de musique, de rituel, de chamanisme et de beauté naturelle, n’y a-t-il pas ici des éléments pour enrichir une œuvre majeure ?

Nous sommes tous au fait des urgences pour « nourrir » les estomacs et les corps, mais quid des esprits ?

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